Quand le langage devient une matière plastique :
le récit-page ou récit-toile
www.recit-page.fr
Ada Teller
éditrice
Mots clés : écriture, image, langage visuel, récit-toile
Abstract : La qualité littéraire d’un texte se mesure souvent à sa capacité à convoquer l’image et à lui donner vie et mouvement, la faculté visuelle de la langue étant l’une des ses potentialités les plus intéressantes.
Si elle accompagne souvent le roman, tout comme la poésie, l’image qui naît des mots prend une importance toute particulière dans la prose brève.
Notion fuyante, le bref désigne en littérature des durées fort diverses, allant de l’espace de la ligne, voire du mot, jusqu’à la nouvelle qui se confond avec le roman court. Dans ce domaine irrésolu, le concept récit-page installe la contrainte de la page unique. Il en résulte une aventure éditoriale en même temps qu'une voix littéraire aux accents propres, on pourrait dire une coloration d’écriture.
Car privé de développement, de trame, de détail, le récit tire sa matière des forces suggestives, plastiques, du langage, et bien souvent de l’image qu’il illumine. On pourra parler alors de récit-toile.
Plutôt qu’ une recherche théorique, ce projet se veut une invitation à une exposition, au moyen de lectures commentées, faisant ressortir l’écriture à l’œuvre lorsqu’elle se résout en image et compose un tableau.
Exemple d'une lecture
Trompe-l'œil (extrait)
Michel Castanier
La sombre Forêt est assez ténébreuse dans son cadre doré. Les sous-bois s’allument d’une braise avec l’arrivée d’une dame coloriée qui accourt dans le tableau comme si elle était en retard. ... Un jeune monsieur qui a une palette de peintre dans une main, un chevalet plié sous le coude, court après elle.
– N’étions-nous pas bien ensemble, Zaza ?
La dame s’explique tout en fonçant à toute allure d’un bord à l’autre du paysage …
– Oh oui ! ... nous étions bien ensemble à un point que nous ne soupçonnions pas nous-mêmes, et c’est pourquoi je suis soulagée de te quitter alors que nous sommes si bien ! Maintenant, j’aimerais surtout sortir de ce tableau…
Trois roulottes de forains arrivent en cahotant d’un bosquet de roseaux au bord supérieur du cadre et roulent à la queue leu leu sur un chemin crayonné au fusain. Le peintre … demande des précisions sur « les causes d’une rupture aussi brutale ». Puisqu’il en demande, elle en donne : elle explique … que la proposition d’être son modèle, qui la touche beaucoup, qui la rend même fière, la place dans une situation impossible à l’égard de Manolo ...
– Manolo ?
………………..
Un bras musculeux à l’intérieur de la fenêtre de la roulotte élève déjà Zaza par-dessus le marchepied vers un petit balcon chapeauté d’une marquise de vitraux jaunes et verts.
………………..
La roulotte s’éloigne du peintre à vive allure. Elle n’est bientôt qu’un point d'exclamation au fond du tableau.
Intitulé: Paysage et Figures de caractère.
Huile sur toile 100 x 81 cm.
Signature au dos.
Certificat de maître Malassis, expert pour l'artiste.
Direction éditoriale du site Récit-page (www.recit-page.fr)
Publications
« La littérature libérée du temps », Actes du colloque Le temps de la fulgurance, force et fragilité de la forme brève, Université d’Angers, 2018.
« Le micro-récit » dans Quelle production écrite à l’école ? Nathan, 2016.
À paraître
« Le récit-page, terrain du poétique », Actes de Journée d'études du 19 février 2022 Quelle poésie pour le troisième millénaire ? ENS Ulm, Paris.
« L’aventure éditoriale récit-page dans ses liens avec le poème en prose et avec l’image par l’écrit », Actes du colloque Image – Poème en prose – Image. Ce que le poème en prose doit à l’image, et inversement, Centre de Recherche sur les Poétiques du XIXe siècle (CRP19), Université Sorbonne Nouvelle, octobre 2022.
Organisation Rencontres récit-page
Au moment du confinement, animation à distance de la Rencontre internationale récit-page avec participation d’auteurs et public de 10 pays, avril 2021.
Publications littéraires et pédagogiques
Blog personnel : Récits minimes, Fictions infimes (www.adasapage.fr)
Revue La Géante rouge, n° 26, 2019, .
Revue annuelle Galaxies, 2019, deux récits récompensés au Prix Pépin.
La lecture pour les Nuls, éditions First, 2016
La production d’écrits, collectif, Nathan, 2017.
Revue Poésie sur Seine, 2015.
Ada Teller est née en 1946 en Argentine et réside en France depuis 1978. Docteur en philosophie de l'Université de Paris-IV Sorbonne, elle s'éloigne tardivement de sa formation par le chemin de la littérature, plus précisément de la composition de fantaisies littéraires brèves présentes sur son site personnel Récits minimes, fictions infimes (www.adasapage.fr). Ses textes font l'objet de diverses publications. Depuis 2013, elle édite le site Littératures brèves, devenu en 2018 le site Récit-page (www.recit-page) dont elle propose le terme et le concept et qui accueille des collaborations tant littéraires que théoriques dans le domaine de l'écrit bref.
Forme particulière de l’écrit bref, contraint comme son nom l’indique à l’espace de la page unique, privé de détail et même de trame, le récit-page se nourrit du suggestif et bien souvent du ressenti visuel qu’il éveille au moyen de la seule matière dont il dispose : le langage. Dans la toile que lui tend la page, le texte compose un tableau. Une brève présentation du concept éditorial récit-page, suivie de quelques exemples représentatifs de l’image par les mots, invitera à des échanges autour de ce qu’on pourrait appeler la matérialité intermédiaire, fuyante, mais finalement malléable, plastique, du langage.