#CIHA202401517Dire comment les choses inanimées se meuvent. Hylémorphisme et pensée de l’ornement chez Alberti.

A. Penser la Matière 1
Matière et forme. Retour sur la théorie de l’hylémorphisme dans la théorie des arts au premier âge moderne
M. Schiele 1.
1Dfk Paris - Paris (France)


Adresse email : mschiele@dfk-paris.org (M.Schiele)
Discussion

Co-auteur(s)

Sujet en anglais / Topic in english

Sujet de la session en français / Topic in french

Texte de la proposition de communication en français ou en anglais

Dans le De pictura, Alberti forge une expression mainte fois citée, notamment dans le cadre de la réception warburgienne du texte, mais peu commentée pour elle-même, celle de rerum inanimatarum, traduite par choses inanimées. Cette formule, exemplifiée par les chevelures et les drapés, désigne ce qui dans l’économie de la représentation relève communément de l’ornement.

Si Alberti consacre quelques lignes au fil de la plume à la réalisation technique de ces accessoires, son traitement des drapés et des chevelures ne correspond pas au modèle du secret d’atelier, et ce, conformément à l’esprit libéral du De pictura. Au contraire et de façon paradoxale, la description des choses inanimées, inertes par essence, appelle une étude focalisée sur leur dynamique, c’est-à-dire sur la nature des mouvements dont ils seraient les possibles véhicules, notamment au §45. Comment comprendre cette tentative albertienne de penser l’inerte par son contraire ?

Selon nous, ce paradoxe renvoie à deux difficultés que le De Pictura affronte:

- Une première difficulté d’ordre stylistique concerne le caractère indistinct des « choses inanimées ». Chevelures sans contours définis ni formes arrêtées, drapés comme pure matière qui chute : quelle place leur accorder dans une théorie de la peinture fondée sur les idées de circonscription et de composition ?

- Cette difficulté stylistique est renforcée par une difficulté théorique relative à la valeur intellectuelle de la peinture. S’il est entendu que toute peinture vise à la représentation de la storia, c’est-à-dire à la mise en image d’actions, quelle part accorder, à ce qui, à la différence des corps, ne bouge pas spontanément ? L’insignifiance sur le plan narrative corrobore ainsi l’informe sur le plan stylistique.

L’hypothèse que nous forgeons est alors la suivante : pour dépasser l’opposition matière/forme, comme celle de l’insignifiant et de l’intelligible et faire droit au sein de la représentation à ce qui échappe en premier instance au pinceau de l’artiste comme au regard du spectateur, Alberti introduit dans ce passage sur les choses inanimées un discours inspiré par la physique aristotélicienne et par une tradition rhétorique. Il s’agit là d’une tentative de considérer les choses inanimées, moins à partir de leur signification ou de leur symbolique qu’à partir de leur sens selon une connotation directionnelle et émotionnelle, comme orientation du regard et effet sur la sensibilité. La discussion de l’hylémorphisme modère le primat de la forme pour s’intéresser alors au mouvement de la matière ou, pour reprendre une formule de Ernst Gombrich, à la forme d’un mouvement.

À rebours d’une lecture iconographique du De pictura, comprenant notamment le §45 comme le sous-texte de certaines représentations emblématiques de la production artistique du Quattrocento, les œuvres de Botticelli en tête, cette communication entend défendre une lecture philosophique du texte d’Alberti pour en éclairer les sources comme la pertinence spéculative. En effet, considérer l’ornement à l’épreuve du rapport entre forme et matière par l’introduction d’un troisième terme qu’est le mouvement permet de repenser sa valeur comme son expérience au sein de la représentation, en insistant notamment sur la fécondité de la distraction.


Bibliographie

Leon Battista Alberti, La Peinture/De pictura (1435). Texte latin, traduction française, version italienne. Editions de Thomas Golsenne et Bertrand Prévost revue par Yves Hersant, Sources du Savoir, Paris, Seuil, 2004.

Aristote, Physique, V.

Isabelle Bouvrande, « Peindre le corps à la Renaissance : l’art de colorer chez Alberti », Corps 2007/2 (n°3), p. 73-78. 

Isabelle Bouvrande Le Coloris vénitien à la Renaissance. Autour de Titien, Paris, Editions Classique Garnier, 2014, en particulier le chapitre intitulé « de la philosophie de la nature dans les écrits sur la peinture. », p. 33-39.

Kristine Patz, « Zum Begriff der Historia in L.B. Alberti’s De picture », Zeitschrift für Kunstgeschichte XLIX/3, Berlin, DKV, 1986, p. 269-287


CV de 500 signes incluant les informations suivantes: Prénom, nom, titre, fonction, institution

Dr. Marie Schiele (D.F.K. Paris)

- Post-doctoral Stipendiatin (2022-24), Deutsches Forum für Kunstgeschichte. (Lauréate d'une bourse post-doctorale de deux ans au sein du Centre allemand d'histoire de l'art, Paris). Participe au projet de recherche interdisciplinaire intitulé "le visible et le dicible. Les langages de l'histoire de l'art" sous la direction de Peter Geimer et de Georges Didi-Huberman. 

- Membre associé du Centre Victor Basch, Philosophie de l’Art et Esthétique, U.R. 3552, Sorbonne Université

- Docteure en Philosophie, Sorbonne Université. Spécialité Philosophie de l'Art et Esthétique. Auteure d’une thèse intitulée sur l’imaginaire du drapé dans les images, les textes et les objets de l’âge classique à la période contemporaine, menée sous la direction de Marianne Massin. 

- Ancienne élève de l’École Normale Supérieure, Lyon.

- Page professionnelle : https://www.dfk-paris.org/fr/person/marie-schiele-3463.html


Résumé / Abstract

Au paragraphe 45 du De pictura, Alberti forge une expression mainte fois citée, notamment dans le cadre de la réception warburgienne du texte, mais peu commentée pour elle-même, celle de « rerum inanimatarum (choses inanimées) », dont les exemples sont les chevelures et les drapés. À rebours d’une lecture iconographique, comprenant le §45 comme le sous-texte de représentations emblématiques du Quattrocento (Botticelli), cette communication défend une lecture philosophique du texte pour en éclairer les sources comme la pertinence spéculative. Considérer l’ornement à l’épreuve du rapport entre forme et matière par l’introduction d’un troisième terme (le mouvement) permet de repenser sa valeur au sein de la représentation, en insistant sur la fécondité de la distraction.