#CIHA202401176Vers l’obscurité de la matière: l’informe dans l’art rustique (XVIème siècle)

A. Penser la Matière 1
Matière et forme. Retour sur la théorie de l’hylémorphisme dans la théorie des arts au premier âge moderne
D. Zagoury 1.
1University Of Fribourg - Fribourg (Allemagne)


Adresse email : david.zagoury@unifr.ch (D.Zagoury)
Discussion

Co-auteur(s)

Sujet en anglais / Topic in english

Sujet de la session en français / Topic in french

Texte de la proposition de communication en français ou en anglais

La primauté du disegno compris comme conception mentale qui guide le travail manuel de l’artiste donne la suprématie à la cause formelle sur la cause matérielle, en somme, à la forme sur la matière – comme Aristote lui-même le voulait, puisque “toujours, en effet, l’agent est supérieur au patient et le principe à la matière” (De anima III, 5, 430a18). Michel-Ange était familier de la doctrine hylémorphiste – il glissa même un « come l’alma al corpo è forma e vita » dans l’un de ses poèmes. Dans sa poésie, il ne s’évertua pas foncièrement à remettre en cause la hiérarchisation forme–matière : pour lui la « forme immortelle » descend, telle l’ange, dans la « prison terrestre » du corps ; en outre Benedetto Varchi, son premier interprète, le commenta à travers cette même préférence aristotélicienne pour la forme. Dans ses poèmes d’amour à une donna leggiarda, Michel-Ange s’identifie même parfois à la « forme » elle-même – en se comparant par exemple à la forma que sa bien aimée remplit comme le métal fondu remplit un moule (cf. Non pur d’argento o d’oro). On pourrait y voir un signe supplémentaire d’aristotélisme, puisque la forme est masculine et la matière féminine.

         Depuis une vingtaine d’années, l’abondance des études sur la matérialité nous invite à remettre en cause ce privilège théorique de la forme. Ces études montrent notamment comment, tout au long de l’époque moderne, artistes et collectionneurs ont apprécié la matière dans son épaisseur, sa sensualité et sa complexité.  Cette contribution se veut un pas supplémentaire dans cette direction, en portant en particulier la discussion sur le statut théorique de la matière, hule ou materia, dans la pensée sur l’art du seizième siècle. J’aimerais me concentrer en particulier sur la question suivante : quelle fut pour les artistes le statut de la matière informe, du substrat brut ?

         Je tâcherai de montrer qu’une fascination pour la matière amorphe traverse le seizième siècle en s’intensifiant, notamment chez les successeurs de Michel-Ange. Au-delà d’un intérêt pour le chaos primordial dans une conception démiurgique de l’artiste, cette fascination se manifeste en particulier dans les expériences plastiques et atmosphériques réalisées au sein des grottes de jardin, au cœur de ce qu’on a appelé le style rustique. Je m’intéresserai en particulier à une idée d’ascendance néo-platonicienne selon laquelle les grottes symbolisaient, dans la pensée antique et hermétique, la matière primitive, du fait de l’obscurité, l’informe et l’humidité qui régnaient dans ces espaces qui « résistent à la détermination ». Cette idée est véhiculée en particulier dans le De antro nympharum de Porphyre, une méditation allégorique sur le symbolisme des grottes. Mon enquête se tournera, d’une part, vers la question de la réception de ce texte, et d’autre part vers les expérimentations sculpturales cherchant à visualiser ou « matérialiser » de la matière informe. Je serai en particulier attentif au statut accordé à l’obscurité, à la féminité et à la laideur.


Bibliographie

CV de 500 signes incluant les informations suivantes: Prénom, nom, titre, fonction, institution

David Zagoury est présentement chercheur postdoc à l'Université de Fribourg au bénéfice d'un financement "Ambizione" du Fonds National Suisse pour le Recherche Scientifique. Il a obtenu son doctorat de l'Université de Cambridge en 2019 avec une thèse consacrée à la notion de "fantasia" dans la culture artistique du XVIème siècle. Distinguée par la Médaille Otto Hahn de l'Institut Max Planck, cette recherche apparaîtra prochainement sous forme monographique. Depuis son doctorat, David a été notamment assistant scientifique à la Bibliotheca Hertziana à Rome, assistant postdoc à l'Université de Zurich, Postdoctoral Fellow du Getty Research Institute à Los Angeles, et visiting fellow de l'Institute of Fine Arts, New York University ainsi que de l'Université de Toronto.


Résumé / Abstract

Cette communication tâche de montrer qu’une fascination pour la matière amorphe traverse le seizième siècle en s’intensifiant dans les expériences plastiques immersives des grottes de jardin, au cœur de ce qu’on a appelé le style rustique. La genèse des décors de Buontalenti pour Pratolino et pour les Boboli m’intéressera en particulier. J’y questionnerai le rôle possible d’une idée d’ascendance néo-platonicienne selon laquelle les grottes symbolisaient, dans la pensée antique et hermétique, la matière primitive, du fait de l’obscurité, l’informe et l’humidité qui régnaient dans ces espaces qui « résistent à la détermination ».