#CIHA202401023La possibilité d’une ruine : palais, marbres et antiques en Chine, entre exhibition et escamotage

M. Patrimonialisation
Ruines de ruines. Matérialité et immatérialité des ruines dégradées
P. Cinquini 1.
1Shanghai International Studies University - Shanghai (Chine)


Adresse email : philippe@cultureartcinquini.com (P.Cinquini)
Discussion

Co-auteur(s)

Sujet en anglais / Topic in english

Sujet de la session en français / Topic in french

Texte de la proposition de communication en français ou en anglais

La tradition populaire chinoise a ses propres mots face à une ruine : « Le pays cassé, la famille morte ». En ce sens, la ruine est impensable et impossible en Chine : difficile à voir, à dire et à peindre. Il fallut le choc avec les puissances occidentales pour que l’idée de ruine et ses images circulent en Chine. Notre communication propose de confronter deux sites qui éclairent une stratégie des ruines qui provient d’une relation complexe de la Chine avec l’étranger. D’un côté le parc des ruines de l’ancien Palais d’Été à Pékin, les Xi Yang LouPalais européens, de l’autre un bâtiment intact et confidentiel, le Luo Ma Da Lou – Palais romain, soit l’ancienne École des beaux-arts de Suzhou. Les deux monuments convergent à travers la pensée de Cai Yuanpei (1869-1940), le réformateur qui visait à remplacer la religion par l’éducation artistique. Imaginant la ville moderne chinoise idéale, il prescrivait qu’elle contienne des ruines capables d’inspirer les artistes. Or, dans son ouvrage de référence, WU Hung (2013) n’a pas entièrement vu que les efforts des artistes et architectes chinois formés à l’École nationale supérieures beaux-arts de Paris, convertis au culte du beau et de la ruine, répondaient à l’injonction politique de Cai Yuanpei. Ainsi, les ruines de Pékin et le monument de Suzhou tissent le fil d’une complicité historique doublée par une possibilité/impossibilité de la ruine en Chine qui passe par l’Occident et ses Beaux-Arts. Alain Schnapp considère qu’une ruine est autant matérielle qu’immatérielle ; aussi verrons-nous que si le champ de ruines du Palais d’Été est rempli d’immatériel, à tel point que les vestiges sont enfouis par la communication politique à laquelle se surimpose la marchandisation, le bâtiment moderne de style néoclassique à Suzhou, vidé de sa substance et privé d’immatériel, constitue une sorte d’épave échouée au milieu des jardins chinois les plus connus au monde. Les centaines de moulages d’antiques que Yan Wenliang rapporta en Chine et disposa dans son académie construite à Suzhou en 1932, à l’image de la forêt de plâtres de la cour vitrée du Palais des études à Paris, furent détruits par les gardes rouges. La honte de la révolution culturelle répondant à l’humiliation du sac du Palais d’Été, la stratégie de la ruine est faite d’exhibition et d’escamotage, parfois matériel, toujours symbolique ; les ruines sont des monuments expiatoires dont la nécessaire conservation doit impliquer leur destruction. À cette stratégie quasi théâtrale correspond une esthétique des ruines dont la blancheur du marbre et des plâtres manifeste l’acmé. Cette blancheur est autant celle du beau idéal et classique, qualité attribuée au corps blanc du nu académique européen traduite par les antiques de Suzhou, que celle de l’éternité conférée aux architectures gréco-romaines et européennes dont les ruines à Pékin se font l’écho. Ainsi, la ruine en Chine se pose toujours comme une question identitaire et une confrontation à l’étranger. Immanquablement douloureuse, la ruine s’inscrit dans un perpétuel entre-deux fait d’apparition et de disparition, conséquence d’une difficile possibilité à exister.


Bibliographie

Mots clés : Chine, ruine, moulage, Palais d'Eté, Suzhou, Beaux-Arts, Cai Yuanpei (1869-1940), Yan Wenliang (1893-1988)

WU Hung, A Story of Ruins: Presence and Absence in Chinese Art and Visual Culture, Reaktion Books, 2013.

ALLAIN Yves-Marie et al., Atelier d’architecture Hua Xia (dir.), Protection et mise en valeur du site du Yuanming Yuan, Édition de la Forêt, 2002.

HU Jiu'an 胡久庵, « Yan Wenliang Ozhou Goumai Zhengui Shiga - 颜文樑欧洲购买珍贵石膏 - Yan Wenliang achète les plâtres en Europe », 世纪 (Century), Shanghai Wenshi Yanjiuguan, N°3, 2012, p. 68-69.


CV de 500 signes incluant les informations suivantes: Prénom, nom, titre, fonction, institution

Philippe CINQUINI enseigne l'histoire de l'art à la Shanghai International Studies University. DEA à Strasbourg, doctorat à Lille, il a travaillé sur l’histoire de l’Europe orientale avant de poursuivre en Chine sur les relations entre l'art et la politique. Chercheur à l'Institut Xu Beihong de l'Université Renmin à Pékin, membre du conseil de la Shanghai International Culture Association, membre de l’Apahau et du CFHA ; commissaire d’expositions consacrées aux relations entre la France et la Chine à travers les Beaux-Arts : www.philippecultureartcinquini.com


Résumé / Abstract

 

La tradition populaire chinoise a ses propres mots face à une ruine : « Le pays cassé, la famille morte ». En ce sens, la ruine est impensable et impossible en Chine : difficile à voir, à dire et à peindre. Il fallut le choc avec les puissances occidentales pour que l’idée de ruine et ses images circulent en Chine. Notre communication propose de confronter deux sites qui éclairent une stratégie des ruines qui provient d’une relation complexe de la Chine avec l’étranger. D’un côté le parc des ruines de l’ancien Palais d’Été à Pékin, les Xi Yang Lou – Palais européens, de l’autre un bâtiment intact et confidentiel, le Luo Ma Da Lou – Palais romain, soit l’ancienne École des beaux-arts de Suzhou.